Etape
5 : Chilecito – Tucuman, pour un total de 912 Kms !
Dès
le départ de la spéciale, avec le soleil qui se lève à peine, il est très
difficile de voir les pièges dans la poussière des pistes de sable, c’est très
dangereux !
On
part tout de suite sur du hors-piste mauvais, et très éprouvant, et avec la
chaleur étouffante, je comprends que ce ne sera pas une journée facile…
C’est
une alternance de dunes molles et de hors-piste vicieux qui nous cueille dès ce
matin, dur ! Au kilomètre 22, je me fais surprendre par une zone de sable
très mou, et alors que je roule normalement, d’un coup, la roue avant s’enfonce
jusqu’au moyeu, stoppe immédiatement, et je passe direct par-dessus le
guidon ; La moto fait naturellement un salto avant et vient m’enfoncer
dans le sable pour parachever le geste technique !!! C’est une scène que
nous avons tous vécu, et qui est imparable ! Rien de grave, pas de panique, mais déjà un peu de temps perdu pour dégager la moto, la roue avant bloquée dans le sable. Par
une température de 48°c, c’est juste embêtant de s’attaquer à désensabler la
moto à moitié ensevelie ; Et secouer le pilote qui a pris un bon paquet de
sable qui rentre partout, et qui colle à la sueur… (c’est ok pour les
détails ? lol)
Les
caps en hors-piste me semblent interminables, et je souffre beaucoup. Les
franchissements de dunes sont très difficiles, et on entend les moteurs hurler
la mort, tellement on doit les solliciter dans les derniers mètres, quand on
calcule qu’on pourra passer de justesse, sans devoir faire demi-tour pour
reprendre de l’élan. Evidemment, dans ces conditions, les chutes (sans gravité) se succèdent, et je perds beaucoup d'énergie.
D’après
mon road-book, je ne suis pas très loin de la fin des grosses difficultés
(environ 12 kms). Il est midi et je vois le bout du tunnel. Sauf que dans un
secteur super délicat, je ne réussis pas à franchir une passe, comme de
nombreuses motos et même les premières voitures qui nous ont déjà rattrapés. On
entend les moteurs hurler dans tous les sens. Sur quelques centaines de mètres,
c’est un peu l’apocalypse, des motos et des voitures plantées partout dans ce
secteur de dunes grises. Arrivé sur un petit sommet, je me couche une fois de
plus, et à bout de force, je décide d’attendre un peu, de me mettre à l’ombre
d’un buisson. Je suis vraiment à bout de force. Je regarde impuissant ma moto
couchée sur le côté, je ne peux même plus la relever tellement je suffoque avec
la chaleur. Après plus de 30 minutes, après avoir avalé 2 barres de céréales,
je reprends mes esprits, et décide de repartir. Redresser la moto, redémarrer,
observer la trajectoire qui me semble viable. Bizarre, je sens qu’elle ne
répond pas bien… Je reprends, plus serein après ce petit arrêt, mais je
comprends vite que je suis « à sec ». Zut, alors que je repartais pas
trop mal, elle cale définitivement ! Panne d’essence ! Trop con, j’ai
manqué de lucidité en laissant la moto couchée sur le côté tout à
l’heure ; Le réservoir arrière s’est vidé… Il faut dire que j’avais
calculé ce matin une consommation d’un bon 10 litres au 100 ; Il s’avère
qu’on est à 20 litres au 100 environ sur ce terrain de la mort… Je la cale
debout avec le sable, et me remets couché dans un buisson, dans un semblant
d’ombre. La chaleur extrême semble ralentir mon cerveau… Il me faut 10 minutes
avant de réaliser que je sais qu’il me reste environ 2 litres dans les
réservoirs avants, et qu’en les transférant à l’arrière, je pourrai avancer un
peu, et peut-être rejoindre une solution dans le rio, annoncé dans 6 kms. Mais
alors que cette opération doit me prendre 10 minutes en conditions normales, il
ne me faudra pas moins de 2 heures ( !!) ici, impuissant et
« tournant au ralenti » dans ces conditions extrêmes. J'arrête tous les quelques camions qui passent déjà, pour leur demander de l'eau. Ca marche à tous les coups, et même si c'est de l'eau chaude, j'apprécie énormément. J'aurai bu 6 litres pendant ma mini-séance de mécanique. Le temps n’a
plus trop d’importance, il faut avant tout assurer. Je repars enfin, et rejoins
ce fameux rio synonyme de (presque) fin de première étape, un peu plus soulagé. Par rapport au road-book, je vois que je suis rentré "trop tard" dans le rio, je n'ai pas "trouvé" un waypoint qui marque l'entrée du rio, un point de passage obligatoire. Je sais que je dois remonter le rio en cap 90 pour le retrouver, mais je n'ai pas les moyens de faire demi-tour, je suis trop court en essence, et physiquement mort. Je sais que je prends une pénalité d'une heure, mais après les 2 heures perdues à mécaniquer, plus la peine de courir après ce point de passage, je jauge qu'il est préfèrable de faire l'impasse, surtout que le secteur semble très dangereux et super mou, trop risqué de s'y aventurer sans essence.... Je décide de continuer vers l'arrivée d'étape. J’épuise ma petite
réserve d’essence, mais reste optimiste, je suis maintenant dans un secteur
plus porteur. Sauf que beaucoup de concurrents sont déjà passés (il commence à
se faire tard, 15h), et tous sont très juste en essence. Enfin un motard Italien peut
s’arrêter et me donne 1,5 litre. J’ai peur que ce ne soit pas suffisant mais je
reprends le rio à bon rythme. Trop court, ça s’arrête encore !! Je dois
être à 20 Kms de l’arrivée, une misère. Le mec s’arrête, mais je comprends
qu’il ne peut plus me dépanner, il est presque à sec. Je décide de lui laisser 200 Pesos pour qu'ils les transmette à un mec à l'arrivée qui pourra me remonter de l'essence. Je comprendrai plus tard que les officiels ne laisseront jamais personne (et à fortiori un "touriste" reprendre la piste à l'envers...). J’attends encore des
concurrents, mais les passages se font rares. Le temps est long très long, très très long. J'observe depuis un moment des chevaux sauvages qui se baladent pas loin. Je ne sais pas si j'ai retrouvé toute ma lucidité, mais une idée me vient soudainement : je sors mes sangles (toujours utiles, dans un petit coin sous la selle), et je me mets en tête d'essayer d'en attraper un, dans le but de monter dessus, et d'aller chercher un bidon d'essence à l'arrivée, il y aura forcément un village. !! (Bon ok, avec le recul, c'est du grand n'importe quoi, mais ce doit être une idée de désespéré qui tente tout pour s'en sortir !!). Toujours pas de moto en vue.... Et ce n’est que 3 heures interminables
plus tard qu’un Estonien, Tomaas, peut me rendre service. Il est épuisé, avec 2 stators pourris de sable et d'huile autour du guidon de sa Honda ! Il a crané 3 fois son allumage depuis ce matin, tellement il fait chaud. (En même temps, vu les pièces de rechange qu'il a, il n'était pas très surpris...lol). Un peu plus d’un litre d'essence, mais
il est aussi presque à sec. Il repart devant, et moins d’un km plus tard, je le
vois arrêté… Il vient de casser définitivement le moteur ! L'horreur ! Mais il me propose un
deal sympa : on transfère toute son essence, et je le remorque ! Le
temps de récupérer son essence, de sangler son repose-pied à mon bras
oscillant, et c’est parti pour un épisode qui pourrait être rigolo si on n’était
pas aussi mal barrés. Je vous garantis que tirer une moto dans le sable d’un
rio, puis dans les ornières de fesh-fesh, ce n’est pas drôle du tout !
Sans compter les ruptures de sangles, suivis des enchevêtrements typiques dans le disque et la couronne AR. Il faut sortir plusieurs fois le couteau suisse pour récupérer les sangles, et faire des noeuds (on doit être à 10 noeuds sur les 2 mètres de sangles ! lol) pour repartir. Puis les poussettes dans des ornières de fesh-fesh, un camion qui manque de nous rouler dessus dans cette poussière brulante etc, on est morts !!
Bref,
à force de ténacité et de rage, nous finissons par franchir la ligne d’arrivée
ensemble de cette première spéciale, il est plus de 19 h !
Je
l’aide à charger sa moto dans un pick-up qui traine là, et reprends le cours de
ma course. J’arrive à faire les 2 kms qui me séparent d’une station-service sur
la neutralisation, et j’attaque les 111 kms qui doivent m’emmener au départ de
la 2ème spéciale de 205 kms. Je suis très inquiet car la nuit
commence à tomber, et commencer une
spéciale de nuit, ça me semble risqué… Arrivé au départ de la spéciale à 22h30,
l’officiel m’annonce que cette 2ème spéciale a été annulée, et que
je dois rejoindre la liaison finale par un tronçon de 23 kms, avant de faire
les 231 kms qui me séparent du bivouac. Bonheur, soulagement, c’est vraiment
une chance. Je fais les pleins d’essence au ravitaillement prévu au départ de
spéciale, et je repars pour ces 250 kms de mauvais goudron.
Il
fait nuit noire, et les kilomètres ne défilent pas, je suis super fatigué. Le
road-book indique une déviation par des pistes pour contourner des travaux, et
j’ai du mal à distinguer le côté de la piste. Je suis usé physiquement. Je dois
ensuite franchir un col, avec des lacets dans la montagne, c’est super
dangereux. Je fixe une ligne blanche au milieu de la route mais je suis à bout,
je crois que mes yeux se ferment de temps en temps. Et il me reste encore 180
kms pour rejoindre Tucuman. Je ne croise personne, c’est très angoissant. Dans
une vallée, à l’entrée d’un village, je vois le gyrophare particulier d’un CP,
super. Je m’arrête à ce Contrôle de Passage de liaison ; Les 2 officiels
m’avouent qu’il reste pas mal de concurrents qui doivent dormir dans les dunes,
et qu’ils ne voient plus passer grand monde à cette heure. Le temps qu’ils me
donnent un bout de fromage et de l’eau, je reprends ma route. Mais j’ai
énormément de mal, mon corps me dit de m’arrêter pour dormir, mais la raison me
pousse à rejoindre le bivouac, car je ne sais pas quelle est l’heure de départ
ce matin (eh oui, minuit est passé !). En remontant un col, sur le bord,
je m’arrête près d’un muret, je suis à bout. Je béquille la moto, je vais
m’allonger 2 minutes sur ce muret, tel quel, sans retirer ni casque ni rien. Le
ciel est noir, pas une étoile ; Pas un bruit dans cette nuit noire, juste
le bruit imperceptible d’une petite rivière qui coule au loin… Je suis seul au
monde, c’est le Bonheur, mon corps s’apaise…. Je ne pourrais pas vous dire
combien de temps ça a duré, mais j’évalue environ à 4 ou 5 minutes, je suis
réveillé en sursaut par un pilote voiture Argentin qui me secoue et me demande ce que je
fais là, si tout va bien !! lol, j’étais si bien… Bon, triste réalité, il
faut y retourner. Le mec se propose de me « guider » en passant
devant avec ses phares puissants. Cette petite sieste m’a fait beaucoup de
bien, je me colle à lui, et enquille les kilomètres comme en plein jour !!
Quelques heures plus tard, nous voici en vue de la ville de Tucuman, c’est une
délivrance. Il est 3h30 quand je pointe au contrôle d’arrivée, je rentre dans
le bivouac, repère rapidement le camion des malles, attrape mon sac de
couchage, et m’allonge direct sans rien demander de plus. C’est la première
fois que j’arrive aussi tard d’une étape. Le bivouac n’a plus trop d’activités,
je m’endors aussitôt. Quelle journée !!
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